Rapports 1 à 4 du printemps 2022 de la vérificatrice générale du Canada

Déclaration d’ouverture devant le Comité permanent des comptes publics

Rapports 1 à 4 du printemps 2022 de la vérificatrice générale du Canada

Le 2 juin 2022

Karen Hogan, Fellow comptable professionnelle agrééeFCPA, Fellow comptable agrééeFCA
Vérificatrice générale du Canada

Monsieur le Président, je tiens à souligner que cette audience se déroule sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinaabe.

Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour discuter des résultats de 4 rapports d’audit de performance qui ont été déposés mardi à la Chambre des communes. Mes rapports comprennent aussi des copies de nos examens spéciaux portant sur Financement agricole Canada et la Société des ponts fédéraux Limitée. Ces deux rapports ont été rendus publics par les sociétés d’État en février et en mai de cette année.

Je suis accompagnée aujourd’hui de Carey Agnew, Carol McCalla et Nicholas Swales, les directeurs principaux qui étaient responsables des audits de performance.

À la veille de la troisième année de mon mandat, je ressens plus de frustration que d’optimisme. J’aimerais pouvoir vous dire qu’après avoir relevé des faiblesses dans des programmes et services gouvernementaux, nous voyons par la suite des améliorations, mais c’est rarement le cas.

Pour nous, l’histoire est trop souvent la même : année après année, nous livrons des audits qui dénotent des progrès lents et des résultats qui stagnent ou empirent. Dans le meilleur des cas, l’information qui pourrait aider les Canadiennes et les Canadiens à comprendre si les choses s’améliorent ou si elles empirent est incomplète. Dans de nombreux programmes et ministères, il semble que les membres du public se butent trop souvent à des obstacles lorsqu’ils tentent d’accéder aux programmes et services auxquels ils ont droit.

Voyons d’abord notre audit des obstacles systémiques dans les services correctionnels. Nous voulions savoir si les programmes et services fournis par le Service correctionnel Canada reflétaient la diversité toujours croissante de la population carcérale. Entre autres, nous voulions savoir si le personnel correctionnel avait la sensibilité et la conscience nécessaires, sur le plan culturel, pour mettre en œuvre des programmes qui répondaient aux besoins divers des personnes détenues.

Si notre objectif était d’examiner si le Ministère répondait aux besoins de la population carcérale, nos constats ont fait ressortir que certains groupes de personnes détenues étaient désavantagées en raison d’obstacles systémiques qui retardent leur accès à la libération conditionnelle. En particulier, les résultats associés aux hommes et aux femmes noirs et autochtones étaient pires que ceux de tous les autres groupes de détenus. De plus, ces personnes étaient confrontées à des obstacles plus grands du point de vue de la réinsertion sociale sécuritaire et progressive.

Un obstacle systémique résulte de politiques, de procédures ou de pratiques apparemment neutres qui désavantagent un ou plusieurs groupes. Nous avons relevé non seulement des obstacles systémiques, mais aussi, à mon avis, du racisme systémique dans certains cas où des politiques, procédures ou pratiques apparemment neutres ont persisté et sont à l’origine du traitement disproportionnellement différent de certains groupes de personnes détenues racialisées.

Service correctionnel Canada n’a pas réussi à cerner et à éliminer les obstacles systémiques qui continuent de défavoriser les détenus autochtones et les détenus noirs. Nous avons soulevé des enjeux comparables dans nos audits de 2015, de 2016 et de 2017, mais le Ministère n’a pas fait grand-chose pour modifier les politiques, les pratiques, les outils et les approches qui causent ces disparités dans les résultats.

Nous avons constaté que les délinquantes et les délinquants étaient confrontés à des obstacles dès leur admission dans un établissement fédéral. Par exemple, le personnel plaçait les délinquantes et délinquants autochtones et noirs dans des établissements à sécurité maximale à un taux deux fois plus élevé comparativement aux autres groupes de détenus. De plus, ces personnes restaient incarcérées à un niveau de sécurité plus élevé plus longtemps que les détenus d’autres groupes.

Nous avons aussi constaté que depuis nos 3 audits passés, l’accès en temps opportun des détenus à des programmes correctionnels conçus pour les préparer à la libération conditionnelle et favoriser leur réinsertion sociale avait continué d’empirer. En date de décembre 2021, avec l’incidence supplémentaire de la pandémie de COVID‑19, seulement 6 % des hommes détenus avaient accédé aux programmes correctionnels dont ils avaient besoin avant leur première date d’admissibilité à la libération conditionnelle.

Ces résultats différents pour certains groupes de personnes détenues racialisés et autochtones persistent depuis trop longtemps. Service correctionnel Canada doit recenser et abattre les obstacles systémiques pour éliminer le racisme systémique dans le système correctionnel, y compris respecter son engagement à avoir un effectif qui reflète mieux la diversité de la population carcérale. Le Ministère doit combler les lacunes, à savoir la représentation des Autochtones dans tous les établissements, la représentation des femmes dans les établissements pour femmes et la représentation de personnes noires dans les établissements où il y a un grand nombre de détenus noirs.

Je vais passer maintenant à notre audit sur les populations difficiles à joindre. Nous voulions savoir si le gouvernement fédéral s’était assuré que les personnes à faible revenu avaient accès à l’Allocation canadienne pour enfants, à l’Allocation canadienne pour les travailleurs, au Supplément de revenu garanti et au Bon d’études canadien.

L’Agence du revenu du Canada et Emploi et Développement social Canada savent que les personnes qui peuvent demander ces prestations ne le font pas toujours. Les groupes à faible revenu qui sont difficilement desservis par les voies habituelles, les Autochtones, les personnes âgées, les personnes nouvellement arrivées au Canada et les personnes en situation de handicap comptent parmi ces groupes qui ne savent peut-être pas qu’ils peuvent obtenir certaines prestations. Ces populations difficiles à joindre font souvent face à un ou plusieurs obstacles pour accéder aux prestations. Elles ont donc besoin d’une aide accrue du gouvernement.

L’Agence du revenu du Canada et Emploi et Développement social Canada n’ont pas de portrait d’ensemble exact et complet de ces personnes qui n’accèdent pas aux prestations. L’Agence et le Ministère ignoraient aussi si la plupart de leurs activités de sensibilisation ciblées avaient contribué à faire augmenter le taux d’utilisation des prestations parmi les populations difficiles à joindre.

Nous avons aussi constaté que l’Agence et le Ministère surévaluaient les taux d’utilisation des prestations parce qu’ils ne tenaient pas toujours compte des personnes qui n’avaient pas produit une déclaration de revenus, ce qui est une exigence pour obtenir la plupart des prestations.

L’Agence et le Ministère ont pris certaines mesures, mais ils n’ont toujours pas de plan exhaustif pour aider les gens à accéder aux prestations. Par conséquent, ils ne parviennent pas à améliorer les conditions de vie des personnes et des familles qui ont peut-être le plus grand besoin de ces prestations.

Notre troisième audit a porté sur le traitement des demandes de prestations d’invalidité des vétérans des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada. Dans l’ensemble, nous avons constaté que les vétérans attendaient presque 10 mois avant d’obtenir une décision sur leur demande initiale de prestations. Les délais de traitement étaient plus longs pour les francophones, les femmes et les vétérans de la Gendarmerie royale du Canada.

Nous avons également constaté que les données du Ministère sur le traitement des demandes de prestations étaient médiocres et qu’elles étaient mal organisées. Par conséquent, Anciens Combattants Canada n’était pas en mesure d’établir si les initiatives qu’il avait prises pour améliorer le traitement des demandes de prestation avaient accéléré le processus ou l’avaient ralenti.

Nous avons noté que le financement et près de la moitié des employés affectés au traitement des demandes de prestations étaient temporaires, et que le Ministère n’a pas de plan de dotation à long terme. L’incidence combinée de ces lacunes est telle que les vétérans attendent trop longtemps avant de recevoir des prestations. Ils vivent des délais inacceptables qui peuvent nuire à leur bien-être et à celui de leurs familles.

Notre dernier rapport aujourd’hui fait le suivi de notre audit de 2015 sur l’utilisation au gouvernement de l’analyse comparative entre les sexes plus — qu’on appelle aussi ACS Plus. Cet outil d’analyse vise à réduire les inégalités existantes et possibles qui sont dues au genre et à d’autres facteurs identitaires croisés.

Dans l’ensemble, notre audit a démontré que le gouvernement ne sait pas si les mesures qu’il prend aboutissent à des résultats meilleurs, sur le plan de l’égalité des genres, pour divers groupes de personnes. Dans bien des cas, l’analyse a été effectuée, mais nous n’avons pas observé d’effets concrets sur les résultats.

Nous avons constaté que des défis persistants, que nous avons déjà signalés par le passé, continuent d’entraver la pleine mise en œuvre de l’ACS Plus dans l’ensemble du gouvernement. Les organisations responsables ont donné suite à certaines recommandations de notre audit de 2015, mais bien d’autres remontent à notre premier audit de l’ACS, en 2009.

Des défis que nous avons signalés, mentionnons le manque de capacité à effectuer l’analyse comparative entre les sexes et le manque de données sur les facteurs démographiques. De plus, nous avons constaté que le gouvernement ne sait pas si l’ACS Plus livre les résultats attendus parce que ses effets n’ont pas été mesurés ni rapportés de façon uniforme et structurée.

Le Bureau du Conseil privé, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Femmes et Égalité des genres Canada doivent mieux collaborer et s’assurer que tous les ministères et organismes gouvernementaux intègrent pleinement l’ACS Plus de manière à produire des résultats concrets pour les Canadiennes et Canadiens.

En résumé, ces audits soulignent des problèmes et des obstacles persistants dans un large éventail d’activités gouvernementales. Ces obstacles sont inacceptables, qu’il s’agisse de ceux auxquels font face les délinquantes et les délinquants autochtones ou noirs ou les personnes à faible revenu et les vétérans qui tentent d’obtenir des prestations. En ce qui concerne les obstacles que l’ACS Plus est censée éliminer, même s’il y a aujourd’hui un dialogue plus large et une sensibilisation accrue aux facteurs liés au genre et à l’identité, les actes tardent néanmoins à suivre les paroles.

Le gouvernement fédéral doit faire mieux. Toutes les Canadiennes et tous les Canadiens, peu importe leur genre, leur race, leurs capacités ou l’endroit où ils habitent, méritent mieux… et même bien mieux.

Monsieur le Président, je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serions heureux de répondre aux questions des membres du Comité. Merci.